La Reproduction Interdite de René MAGRITTE

René Magritte, né le 21 novembre 1898 à Lessines, en Belgique, est un peintre belge et l’un des plus grands artistes du courant surréaliste
 
Il grandit à Châtelet, et se prend de passion pour les bandes dessinées. Il connaît une enfance difficile, sa mère se suicidant en 1912. Son père, René et ses deux frères s’installent alors à Charleroi, où les études du peintre en devenir ne sont pas brillantes. Il y rencontre Georgette Berger, mais doit retourner à Châtelet lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Il peint son premier tableau fin 1914, début 1915, et continue sur sa lancée en peignant d’autres œuvres de type impressionniste. En 1915, il arrête ses études et s’installe à Bruxelles, près de l’Académie des Beaux-Arts qu’il va rejoindre en tant qu’auditeur libre. Magritte découvre le cubisme grâce à ses nouveaux amis. En 1920, il retrouve par hasard Georgette Berger au jardin botanique de Bruxelles. Ils se marient à l’été 1922.
 
Introduit au sein du mouvement dada, René Magritte se rapproche du groupe Correspondance, avec qui il découvre le surréalisme. Le groupe surréaliste de Bruxelles se crée en juin 1926, et Magritte peint son premier tableau surréaliste, Le Jockey perdu, la même année. En septembre 1927, il quitte Bruxelles pour se rapprocher de Paris, où il rencontre et côtoie les grands noms du surréalisme comme Salvador Dalí, Paul Éluard ou encore Max Ernst. À Paris, Magritte expose dans la Galerie Goemans. Entre 1928 et 1929, il peint son œuvre la plus célèbre : La Trahison des images. Le tableau accompagné du fameux « Ceci n’est pas une pipe » est le résultat d’une réflexion sur les rapports entre mot et représentation. Mais René Magritte n’arrive pas à collaborer avec les surréalistes parisiens. Il se dispute avec eux à de nombreuses reprises, en particulier avec André Breton. La crise économique de 1929 l’oblige à retourner en Belgique et à mettre sa carrière entre parenthèses, pour trouver un emploi dans la publicité.
 
Ayant exposé entre-temps à Bruxelles, New-York et Londres, René Magritte se concentre sur les techniques impressionnistes, qu’il ajoute à sa peinture lors de sa « période Renoir », durant la Seconde Guerre mondiale. Puis, en 1948, il peint jusqu’à 40 tableaux en 6 semaines, pendant sa « période vache ». Ces tableaux aux couleurs criardes, résolument grotesques, sont essentiellement destinés à scandaliser le milieu artistique parisien. C’est vers la fin de sa vie, dans les années 1950 – 1960, que Magritte devient un peintre célèbre, notamment après la réalisation de sa fresque de huit panneaux pour la décoration du casino de Knokke-Le-Zoute. Il peint également Le fils de l’homme (une sorte d’autoportrait, dans lequel une pomme lui cache une grande partie du visage), et Les valeurs personnelles lors de cette période. 
 
Magritte meurt chez lui, à Schaerbeek, le 15 août 1967, d’un cancer à l’âge soixante-huit ans. Les marchands d’art s’arrachent alors l’œuvre de Magritte, en l’honneur duquel un musée portant son nom et hébergeant ses œuvres est érigé après sa mort. La fondation Magritte, créée en 1998, veille à la pérennité et à la diffusion de ses innombrables œuvres (il aurait peint près de 2000 tableaux tout au long de sa vie).
 
 
La Reproduction Interdite
(portrait d’Edward James)
 
 
 
 
Huile sur toile 81,3 x 65 cm – 1937 –
 
 
 
Cette peinture a été commandée par Edward James (1907-1984), fils unique d’un magnat américain des chemins de fer qui avait épousé Evelyn Forbes, dont on chuchotait qu’elle était le fruit de l’exubérante activité sexuelle du prince de Galles, futur Edouard VII. Né en Angleterre, James fréquenta Eton puis Oxford, où il se lia avec Evelyn Waugh (écrivain britannique). 
 
Après un début de carrière diplomatique, qui lui fut l’occasion de vivre quelque temps à Rome, il ne tarda pas à être mis en congé pour une durée indéterminée : dans un message codé envoyé au Foreign Office, il annonçait que Mussolini faisait construire 300 destroyers , qui en réalité, n’étaient que 3 … James, qui se disait poète, mena dès lors une vie mondaine assez frénétique entre Londres et West Dean House, dans le Sussex, vaste domaine hérité de son père, et se lia aux membres les plus brillants et excentriques de la haute société, avec une prédilection pour les flamboyantes soeurs Mitford, filles du baron Redesdale, dont les choix politiques allaient de Hitler à Staline. 
 
Epris d’avant-garde, ce jeune homme anticonformiste finança d’abord la compagnie de ballets de celle qui devait être brièvement sa femme, Tilly Losch, puis la troupe de George Balanchine, participant ainsi à la création des « sept péchés capitaux » sur un livret de Bertolt Brecht et une musique de Kurt Weill.
 
Peu après, découvrant le surréalisme, James finança cette fois « Le Minotaure », revue éditée par Albert Skira et dirigée par André Breton, et constitua une collection réunissant, entre autres, des oeuvres de Giorgio De Chirico, Paul Klee, Pablo Picasso, Alberto Giacometti et Max Ernst.
 
Parallèlement, il se mit à fréquenter nombre de peintres plus ou moins lié à André Breton et, sous leur influence, transforma Monkton House, pavillon érigé sur son domaine, en « maison surréaliste », un cas unique.
 
Parmi ces artistes, on recensait notamment René Magritte, auquel il commanda deux portraits : « le principe de plaisir » – où il se présente de face, le visage remplacé par une boule irradiant une violente lumière – et « la reproduction interdite » – où on le voit de dos, devant le trumeau d’une cheminée, qui renvoie la même image du mécène qu’au premier plan … 
 
Les oeuvres représentant un personnage vu de dos ne manquent pas – de la « Vénus au miroir » de Vélasquez, et de la femme en manteau rose de « l’enseigne de Gersaint », de Watteau, à l’artiste de « la peinture » de Vermeer ; sans négliger, au siècle dernier, « la fille assise vue de dos » et « Ma femme nue, regardant son propre corps » de Salvador Dali -, mais où, le plus souvent par l’intermédiaire d’un miroir, nous voyons un visage se refléter. 
Ce qui, sous la forme d’une investigation circulaire autour d’un corps, est un moyen de présenter à la fois l’ « envers » et l’ « endroit », c’est-à-dire de rétablir une unité qu’une représentation frontale exclut.
 
Par ailleurs la pose de dos libère le personnage, qui feint de ne pas poser et avoue une plus grande part de son intimité. Dans ce cas, il s’agit le plus souvent de femmes. Un portrait de dos ne veut donc pas dire un portrait sans visage. 
 
Pourtant, ici, pas de visage, mais une répétition, dont nous pressentons qu’elle est vouée à ne jamais s’interrompre. Si bien qu’à l’inverse des portraits de face aucun dialogue ne peut s’établir entre sujet et spectateur, celui-ci étant enclin à en tirer la conclusion un peu hâtive et indubitablement absurde  qu’aucun dialogue non plus ne s’est noué entre le peintre et son modèle.
 
Au moins, un soupçon dans le cas de ce tableau de Magritte : puisse que Edward James tourne deux fois le dos (au spectateur et à lui-même), la clef de l’énigme ne peut être cachée que dans le miroir, lequel se résume à une surface brun clair, légèrement plus lumineuse autour de la silhouette : si ce miroir semble ne rien dire, c’est qu’il dit tout. 
 
La personnalité d’Edward James est un moyen d’interprétation, que, confirme son autre portrait par Magritte : cet homme fort riche et se plaisant à la compagnie des artistes se montre par la grâce de cette mise en abyme tel qu’en lui-même, c’est-à-dire narcisse en mécène : celui qui, chez l’autre, quête éternellement un regard sur lui-même, qu’on lui refuse.
 
Ainsi, par un procédé qui n’est pas qu’un jeu, Magritte a-t-il accepté de peindre son portrait tout en refusant de lui fournir une image de lui-même. Ce que peint Magritte, ce n’est plus l’image d’un homme, mais l’image qu’il se fait de cet homme, et que celui-ci accepte : si nous plantions un poignard dans le dos de James, celui-ci verrait ce poignard planté dans son dos … 
 
Dans cette image double amorçant une répétition à l’infini, il y a le début d’une démultiplication à l’infini du même, c’est-à-dire d’un manque, d’une absence. 
 
Magritte a donc réalisé une sorte de « portrait posthume », ainsi que l’ont souvent fait les peintres de la Renaissance : Edward James se résume à une silhouette préfigurant le simple souvenir que, au mieux, il laissera à la postérité et qui déjà s’éloigne.
Magritte n’a pas peint un portrait, mais le portrait à la fois silencieux et d’une extrême violence d’un portrait, ce qui revient à annuler le sujet par anticipation.

 

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