Le Balcon d’Edouard MANET

EDOUARD MANET – Edouard Manet est né le 23 janvier 1832 à Paris (France). Il est mort le 30 avril 1883 à Paris (France).
 
Édouard Manet voit le jour au sein d’une famille de la haute bourgeoisie. Ses premiers pas dans la vie sont marqués par l’incertitude et l’instabilité. Il étudie quelques temps dans l’atelier de Couture puis effectue de nombreux voyages, qui inspireront son oeuvre. Il propose ses toiles au Salon qui souvent, les rejette. 
 
Il accueille donc avec enthousiasme la création du Salon des refusés, où il peut exposer son très célèbre Déjeuner sur l’herbe (1862).
Les critiques sont scandalisées par son audace mais Manet s’entoure vite des plus grands artistes de son temps (Claude MonetCharles BaudelaireEmile ZolaAuguste Renoir…). En 1865, Il expose Olympia, qui suscite une réaction encore plus vive. Il puise son inspiration dans ses voyages pour toujours faire évoluer ses oeuvres. Il cherche en effet à se démarquer des mouvements de son temps. 
 
La maladie l’emporte en 1883.  
 
 
 
Le Balcon
 
 
 
Huile sur toile 169 x 124,5 cm – 1868 –
 
 
Un spectacle qui serait banal, si ce n’était les personnes ici réunies : Berthe Morisot, assise au premier plan, dont la présence s’impose au détriment des deux autres et qui deviendra un modèle de prédilection de Manet, derrière elle Fanny Claus au visage presque gommé, qui épousera bientôt un ami de l’artiste, le sculpteur Pierre Prins, et, en retrait, Antoine Guillemet, peintre paysagiste plus tard lié aux impressionnistes, et aussi un jeune Garçon portant un plateau, noyé dans la pénombre de l’arrière plan, dont on ne sait rien. 
Nous l’avons déjà remarqué souvent nous ne voyons plus vraiment les tableaux qui nous sont trop connus. 
 
C’est le cas de celui-ci : à la réflexion, ces trois personnes assemblées sur un balcon, comment Manet a-t-il pu les peindre sinon en étant à la même hauteur qu’elles ?
 
Mais, si c’était le cas, il s’agirait de l’embrasure d’une porte-fenêtre ouvrant sur une terrasse plutôt que sur un balcon. Pourtant, nous voyons une haute rambarde de fer forgé, qui atteste qu’il s’agit bien d’un balcon, ainsi que le confirme le titre …
 
Distraction de Manet, qui n’aurait pas eu conscience de cette aberration ?
Cette explication étant bien peu probable, il faut chercher ailleurs. 
 
D’autant que nous savons que les protagonistes figurant dans ce tableau sont venus longuement poser dans l’atelier du peintre qui les a ensuite insérés dans cette scénographie inspirée des « Majas au balcon » tableau attribué à Goya et souvent repris en gravure, où l’on retrouve la rambarde, oeuvre elle-même probablement inspirée des « deux femmes à la fenêtre » de Murillo, cette fois sans rambarde, comme si le tableau avait été peint depuis la maison d’en face. 
 
Toutefois, ce qui distingue radicalement l’oeuvre de Manet de celles de Goya et de Murillo, c’est que chaque personnage semble être là pour soi-même, sans lien avec les autres ; en particulier Berthe Morisot, tout à fait étrangère à la scène et occupée à regarder quelque chose en contrebas, sur sa droite, que bien sur nous ne voyons pas. 
 
Une telle énigme ne pouvait manquer d’exciter les amateurs et les critiques. Ainsi vit-on se multiplier les explications les plus audacieuses – façon polie de ne pas les appeler fantaisistes … -, dont celle consistant à voir dans ce trio une allégorie des goûts artistiques de l’artiste : l’hispanisme avec Berthe Morisot, le Japon avec Fanny Claus et la Hollande avec Antoine Guillemet. hypothèse guère convaincante : si Berthe Morisot a en effet un certain air andalou et Fanny Claus, un peu mièvre, un côté japonais, en revanche on ne voit rien chez Guillemet, guindé et l’air satisfait, qui évoque la Hollande, ou d’ailleurs un quelconque autre pays. 
 
Pourtant, cette composition étrange ne peut manquer d’avoir un sens … L’hortensia bleu, en bas à gauche, aurait-il une valeur symbolique ? 
 
Dans la peinture allemande de la Renaissance, le fait qu’une plante soit représentée dans un pot constituant une allusion à la vanité et au passage du temps. 
 
Quant au petit chien, symbole de fidélité, que vient-il faire là ? 
Certes, on en voit souvent dans les portraits de Goya, dont Manet s’est inspiré …  
 
Et cette petite balle, sur le sol, bien en évidence ? …
 
Bref, nous ne trouvons aucun élément nous guidant vers une explication de cette scène dans laquelle, en fait, ces gens que nous voyons sur un balcon semblent plutôt installés dans une loge de théâtre. A moins que ce ne soit pas un objet ou une pose que réside la clef de l’énigme, mais dans la démarche de Manet.
 
Qu’est ce que ce « balcon », sinon une apparence réaliste qui se dément elle-même ? 
Donc, ce que l’on nous dirait en fait, c’est que le réalisme est un songe, voire un piège, et que toute image est trompeuse, image que Manet démontre ici par l’aberration de la mise en scène, outil privilégié de cette démonstration. 
 
Pour nous en convaincre, il accentue jusqu’à l’exagération les éléments choquants supposés se mettre au service d’une représentation en particulier les couleurs dont ce vert criard du balcon et des persiennes ou le bleu outrancier de la cravate d’Antoine Guillemet, que nous n’avions pas d’emblée remarqués et qui à présent sautent littéralement aux yeux. 
 
Agissant de la sorte, Manet métamorphose cette scène à première vue paisible en réalité absurde, qui, de ce fait, contient un message en forme de mise en garde : la réalité « ne passe pas » en peinture, car celle-ci la métamorphose en représentation, qui la détache du réel pour la rendre à ce qu’elle est : une oeuvre d’art. 
 
Ainsi une apparente banalité cachait-elle un secret qu’une apparente frivolité affichait autant qu’elle le dissimulait  : Manet n’est jamais ce qu’il parait être ; parfois proche de l’académisme, il se dérobe en extremis à ce péril sans qu’on comprenne par quel procédé. 
 
Peignant cette toile à l’apogée du Second Empire – et à la veille de son effondrement -, il n’a rien de commun avec les gloires de son époque, qu’il ne condamne pas par les mots mais par les faits. 
 
Si bien qu’on comprend pourquoi il fut pour les impressionnistes celui qui leur a ouvert une porte sans pour autant se rallier à eux : la familiarité d’une scène ou d’un objet se dissout peu à peu dans un trouble qui témoigne d’une réalité qu’il ne refuse pas, mais dont il s’éloigne en la détruisant.
 
 
 
 
 

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