La Raie de Jean-Baptiste Siméon CHARDIN

JEAN-BAPTISTE CHARDIN – Peintre français, Jean-Baptiste Chardin est né le 2 novembre 1699 à Paris (France). Il est mort le 6 décembre 1779 à Paris (France). Il est particulièrement reconnu pour ses natures mortes.
 
Jean-Baptiste Siméon Chardin naît d’un père menuisier, fabricant de billard. D’abord élève du peintre d’histoire Pierre-Jacques Cazes, il poursuit son apprentissage artistique auprès de Noël Coypel. 
En 1724, il rejoint l’Académie de Saint-Luc avant d’être finalement accepté à l’Académie royale l’année suivante. Ses peintures la Raie et le Buffet, gigantesques natures mortes, ont contribué à cette admission. Ses thèmes picturaux tournent d’abord autour du gibier, puis du simple objet. 
Dans les années 1730, il évolue vers la réalisation de scènes de genre qui assure sa renommée auprès de la bourgeoisie (la Pourvoyeuse, 1739 ; le Bénédicité, 1740). 
Après un retour aux natures mortes, sa popularité croît sans cesse. Logé au Louvre dès 1757, il reçoit plusieurs commandes royales. Les critiques, dont celles émises par Diderot, sont particulièrement élogieuses quant à son travail d’artiste. Malheureusement, sa vue baisse et le contraint à travailler les pastels. Il peint alors plusieurs portraits et autoportraits.
 
 
La Raie 
 
 
huile sur toile 114 x 146 cm – 1725 –
 
 
Une nature morte précisément agencée où l’on voit une raie accrochée à un mur, d’autres poissons, quelques huitres, une carafe et un broc de grès, un linge, des couverts, et un chat …
 
Pourquoi, au XVIIIe siècle – qui est celui de Fragonard, de Greuze, de Watteau, de Boucher … – représenter un assemblage aussi trivial ? 
Assurément, quelque chose nous échappe dans cet humble état domestique. D’autant que, depuis un demi-siècle qu’on a vraiment redécouvert et exploré l’étendue de son oeuvre, la gloire de son auteur, qui s’était fait une spécialité de ce genre de tableau, n’a jamais été contestée, bien au contraire.
 
Que nous dit Chardin, qui, à n’en pas douter, détient un secret ?
Peut-être une déclaration qu’il fit à son ami Cochin nous guidera-t-elle vers une piste nous permettant de comprendre cet artiste admiré notamment par Manet, Cézanne, Matisse et Morandi :
« Il faut que j’oublie tout ce que j’ai vu, et même jusqu’à la manière dont ces objets ont été traités par d’autres. »
 
Une autre information peut nous être utile : Chardin n’a pas accompli le voyage d’Italie et ne s’est pas formé à l’Académie, qui néanmoins en fera l’éloge, l’y reçut (cette raie était l’un des deux morceaux de réception) et fit de cet homme son trésorier, lequel assistait régulièrement à ses séances et ne rechignait pas à exposer au Salon.
Car Chardin, parisien qui ne quitta presque jamais Paris, habitait au Louvre  et recevait une pension du roi, était connu et apprécié de ses contemporains, ce qui ne fait qu’accroitre le mystère de son oeuvre : que voyaient donc ceux-ci, et que nous avons tant de difficulté à déceler aujourd’hui, dans cette peinture dont, au premier abord, nous pourrions dire, tout au plus, qu’elle a un certain air hollandais ? Situation embarrassante pour un artiste loué pour être profondément français.
 
Ce que nous attendons d’une peinture, c’est l’émotion qu’elle nous procure. 
 
Que ressentons-nous devant cette nature morte en apparence banale ? une impression de silence, un certain trouble aussi : ce monde clos semble s’être arrêté, si bien que s’accroît le sentiment d’être placé devant le spectacle de l’intemporalité, d’autant que rien ne semble être raconté. Un trouble que partagea Diderot :
« l’objet est dégoutant, mais c’est la chair même du poisson, c’est sa peau, c’est son sang : l’aspect même de la chose n’affecterait pas autrement. »
 
A présent, nous l’avons compris, notre émoi tient à ce que ce qui nous est montré l’est dans sa littéralité, alors que souvent, trop souvent, nous sommes enclins à chercher le sens d’un tableau hors de celui-ci. L’objet en lui – même, telle est la leçon de Chardin, et le secret de sa modernité, que nous pressentions sans parvenir à l’expliquer.
 
Dès lors les références à la peinture flamande s’évanouissent car elles étaient nées d’un malentendu : en nous montrant une raie, Chardin nous expose ce qu’est une nature morte. Et nous démontre aussi que la hiérarchie des talents l’emporte sur la hiérarchie des genres. Une nature morte qui recense, en les analysant attentivement, les formes, les reflets de la lumière sur leurs surfaces, les couleurs, les textures ; c’est pourquoi cet agencement pyramidal est d’une précision presque maniaque :  il importe de ne jamais laisser  s’insérer un élément étranger ou anecdotique dans la démonstration, qui est ici résumée et déployée, et consiste à nous dire que l’art n’est pas inéluctablement l’imitation de la réalité, mais le moyen de porter sur elle un regard nouveau .
 
Les natures mortes de Chardin, et notamment « la raie », restituent la présence physique des objets et en même temps les dérobent pour les fondre dans une leçon magistrale. C’est pourquoi  nous devons écouter  l’ensemble pour saisir  chacune des notes de cette singulière musique. 
 
Mais une fois cette leçon entendue, ce mystère en partie dévoilé, un doute nous vient : la nature morte existe-t-elle vraiment ?
En fait, non, car il s’agit d’une dénomination si imprécise que l’on est enclin à penser qu’elle sert à classer les peintures qui n’entrent pas dans d’autres catégories, et sans y mettre beaucoup d’ordre. 
 
En fait, pour les peintres de premier plan, la nature morte a fourni le moyen de détruire des hiérarchies et de redistribuer les cartes ; pour les autres, ce n’était que matière à anecdotes, souvent charmantes, parfois incongrues. 
Lorsque nous avions cru déceler dans cette « Raie » une sorte de variation « à la française » d’un sujet privilégié par les peintres flamands, nous nous trompions.
Telle est la leçon de Chardin, pour qui ce genre ambigu a été l’outil  pour imposer son style, hors des catégories académiques, et qui lui permettra, entre autres, de procéder à d’autres révolutions, notamment dans le domaine du portrait.
 
La banalité à ses secrets, certains dérisoires, d’autres capitaux. Derrière la banalité, ou l’apparence de banalité, derrière cette raie et ces ustensiles de cuisine se cachait une morale de l’art qui, contrairement à ce que nous aurions pu soupçonner, ne s’exprimait pas sous la forme de l’allégorie. 
C’est pourquoi Chardin fut un maître pour des artistes tels que Cézanne ou Monet, dont les recherches, sans lui, sont inconcevables.
 
 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *