Les Ambassadeurs de Hans HOBLEIN le jeune

Hans HOBLEIN le Jeune
 
 
Hans HOBLEIN le Jeune
Peintre et graveur allemand, né à Augsbourg en 1497 et décédé à Londres le 29 novembre 1543.
Deuxième fils du peintre Hans Holbein l’Ancien (vers 1465 – 1524), il est le frère cadet du peintre Ambrosius Holbein (vers 1493/94 – vers 1519), avec lequel il étudie dans l’atelier paternel.
En 1515, sa famille se fixa à Bâle, haut lieu de l’humanisme où il se lia avec Erasme. 
 
De 1516 à 1526, travaillant pour la haute bourgeoisie commerçante, il réalisa des portraits, compositions religieuses, décorations murales, cartons de vitraux et des gravures et le musée d’art de la ville de Bâle possède ainsi la plus importante collection au monde d’oeuvres de la famille Holbein. Dostoïevski, grand admirateur d’Holbein, est fort secoué lorsqu’il voit à Bâle ,trois siècles plus tard, son tableau Le corps du Christ mort dans la tombe ; selon lui, «ce tableau peut faire perdre la foi. » Le tableau l’a tellement troublé qu’il en fait une longue description dans L’Idiot. Influencé par Matthias Grünewald, son style s’ouvrit aux nouvelles conceptions de la Renaissance italienne.
 
En 1526, fuyant la Réforme, il partit pour Londres, recommandé par Erasme à Thomas More. Cette époque constitua l’apogée de sa carrière. Il exécuta le projet d’un arc de triomphe pour l’entrée d’Anne Boleyn à Londres et peignit Les Ambassadeurs en 1533.
 
En 1536, nommé peintre-valet de chambre d’Henri VIII il devient en peu de temps le portraitiste officiel de la cour d’Angleterre. En 1543, en pleine gloire, il mourut de la peste. Portraitiste recherchant derrière les apparences les expressions signifiantes des visages, il cherche à unir aux traditions gothiques les nouvelles tendances humanistes.
 
 
 
 
Les Ambassadeurs
 
 

 

Huile sur panneau 207 x 209,5 cm – 1533 –
 
 
Sur la gauche, Jean de Dinteville, bailli de Troyes, âgé de 29 ans, nommé par François 1er ambassadeur de France auprès d’Henri VIII en 1533, c’est-à-dire l’année où cette peinture fut exécutée. Sur la droite, son ami Georges de Selve, nommé évêque de Lavaur à 20 ans et qui à présent en a 25, lui aussi diplomate, mais au service du Saint-Siège, qui l’enverra plus tard auprès du gouvernement vénitien puis de Charles Quint.
 
Entre eux, un meuble, dont le haut est recouvert d’un tapis aux formes géométriques et où l’on voit quelques livres et des instruments destinés à la mesure du temps et de l’espace, ainsi qu’à la musique, avec un luth à la corde brisée, en allusion à la discorde religieuse, comme l’est aussi le recueil d’hymnes, qui a fait directement référence à la Réforme luthérienne.
En bas, au premier plan, une forme énigmatique, plate et grisâtre, qui, lorsqu’on se déplace, se révèle être un crâne traité en anamorphose, c’est-à-dire une représentation volontairement déformée dont le spectateur ne peut découvrir le véritable sujet qu’en la regardant sous un angle déterminé ou, ainsi que le précise Littré, « par réflexion dans un miroir cylindrique ou conique ».
Pourquoi Holbein, fils et frère de peintres et de graveurs, qui se plait à représenter la réalité avec la précision méticuleuse de l’artiste éminemment allemand qu’il demeurera après son installation en Angleterre en 1526, a-t-il inséré cet élément incongru dans sa composition ? 
 
Ce grand panneau presque carré était destiné à orner le salon d’honneur du château de Polisy, en Champagne, alors en pleine reconstruction, avec notamment la participation du Primatice pour sa décoration.
Détruit en 1992 par un incendie, il ne reste de la fastueuse résidence des Dinteville, outre cette oeuvre, qu’un « Moise et Aaron devant Pharaon » peint en 1537 par un maître flamand non identifié (New York, MMA) où l’on voit le jeune diplomate en compagnie de ses trois frères, et un riche pavement de faïence, probablement dessiné par Sébastien Serlio, à présent conservé au château d’Ecouen. 
Cette vaste salle disposait de deux portes d’entrée : l’une, par laquelle on voyait l’oeuvre de face, et une autre, latérale, d’où l’on en avait une vue en oblique, qui révélait le sujet de l’anamorphose. 
 
D’où une première leçon, presque d’ordre moral : une image peinte n’est que pure apparence et ne vaut que par l’effet qu’elle produit. Il ne suffit pas de l’accrocher pour l’exposer aux regards qui se retrouveront en elle, il faut encore organiser cette réception. 
 
Assurément, comme l’écrivit Jurgis Baltrusaitis, « Le Mystère des Ambassadeurs est une pièce en deux actes ». Information certes intéressante, mais qui ne nous dit toujours pas pourquoi Holbein a inséré cette anamorphose d’un crâne énorme, ni son rapport avec les différents objets disposés sur le meuble. Ce qui nous incite à penser que nous sommes pris dans la mécanique implacable d’une composition dont les gardiens, montrés grandeur nature, sont un homme de cour et un homme d’église, et la clef une image à la fois fixe et changeante, que nous voyons et en même temps ne voyons pas.
 
Avec, sur le fond, un grand rideau de damas vert, dont, tel celui d’un théâtre, nous ignorons sur quel spectacle il va s’ouvrir. 
 
Les Deux hommes ont en commun d’être diplomates : leur mission est de représenter : comme celle du peintre, qui lui non plus, ne s’en tient pas aux apparences, car son rôle est de nous rendre compte d’une réalité en l’interprétant.
 
Revenons à ce crâne, en faisant un détour par les objets disposés sur le meuble : des instruments de musique et de sciences. C’est à dire – nous faisons un pas dans la bonne direction – les instruments de la vanité des connaissances humaines, comme des plaisirs. 
 
Vanité d’arpenter le monde pour le connaître, que nous rappelle le globe terrestre : vanité de mesurer les cieux, que nous dit le globe céleste : vanité des raffinements de la musique, que nous exposent les flûtes et le luth à la corde brisée.
 
Le mystère de ce crâne qui surgit comme un coup de théâtre et nous saute aux yeux se dévoile peu à peu. Il suffit de se déplacer devant le tableau pour le comprendre, ou, plus précisément, le saisir physiquement : lorsque notre changement de position révèle le secret de l’anamorphose, l’image de ces deux diplomates s‘éloigne peu à peu, se brouille et enfin s’abolit en une forme aussi confuse et incompréhensible que l’était celle du crâne au premier regard. 
 
Holbein vient donc de nous dire que nous ne pouvons pas voir simultanément deux vérités, deux réalités, deux représentations. pour nous le démontrer il nous a tendu un piège, tout en nous aidant à déchiffrer l’anamorphose : sur les rayons du meuble, que voyons-nous, sinon une nature morte ?
 
Surgissant du domaine de l’illusion qu’est un tableau, le crâne nous expose, en ricanant, la vérité de toute peinture, de toute représentation : l’entrée en scène de la mort lorsque s’écarteront les pans du grand rideau de damas vert.
 
Si nous en doutons, regardons le pavement de marbre : c’est celui de l’abbaye de Westminster, là où les roi sont couronnés et les puissants inhumés.
 
Il y a fort à parier que si ce rideau s’écartait, ce serait sur un autel : car, tout occupés à décrypter l’anamorphose nous n’avions pas remarqué, sur la gauche, en haut, dans un mince entrebâillement de ce rideau, un crucifix ….

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