La Nef des Fous de Jerôme Bosch

Jérôme van Aken dit Jérôme Bosch est né à Bois-le-Duc (Belgique) en 1450 dans une famille de peintres venue deux siècles plus tôt s’installer en Flandres en quittant son berceau d’Aix-la-Chapelle.
En 1480, il épouse la fille d’un riche aristocrate, ce qui lui permet d’entrer en 1488 dans une confrérie religieuse consacrée au culte de la Vierge qui comptait 40 membres influents à Bois-le-Duc et quelques 7.000 membres dans toute l’Europe.
Il passe toute sa vie à Bois-le-Duc partagé entre sa femme, son atelier et la confrérie, à l’exception d’un voyage à Venise au début du seizième siècle.
Toutefois sa réputation s’étend rapidement hors des frontières de la Flandre (alors sous domination espagnole) et tout particulièrement en Espagne où se trouvent actuellement la plupart de ses oeuvres les plus importantes.
Ses peintures dégagent une atmosphère de mysticisme et d’hérésie, où le religieux se confronte au péché et à la damnation, où l’enfer se mêle au paradis et le satyrique à la morale.
 
L’humanité corrompue condamnée à l’enfer éternel pour avoir tourné le dos à la loi divine est illustrée par :
  • les Sept Péchés capitaux (1475-1480 Musée du Prado Madrid),
  • la Nef des Fous (1490-1500 Musée du Louvre Paris),
  • le Chariot de Foin (1500 Musée du Prado Madrid),
  • le Jardin des Délices (1503-1504 Musée du Prado Madrid).
  • D’autres oeuvres montrent l’exemple de la vie des saints comme unique voie de salut comme les Tentations de Saint Antoine (1500 Musée d’art ancien à Lisbonne). Son style non seulement reprend des personnages caricaturaux issus des bestiaires du Moyen Age mais innove, en faisant de Bosch le premier des surréalistes.
 
Son style sera ensuite repris par plusieurs artistes dont Pieter I Bruegel l’Ancien avec notamment :
 
Bosch est reconnu par les surréalistes du XXe siècle, en particulier Salvador Dali, comme l’un de leurs maîtres picturaux. 

 

 
 
La Nef des Fous
 
 

 

 
Huile sur bois – 58 x 32,5 cm – vers 1500
 
 
Un moine et une nonne sur un bateau, qui semble à la dérive dans un marais, assiégés par un groupe de loqueteux pour le moins agités, voire ivres : tandis qu’une femme frappe un jeune homme avec son pichet, on voit, à tribord, l’un deux vomir, tandis qu’un autre s’est mis en tête de ramer à l’aide d’une énorme louche.  
Quant à ce franciscain et à cette nonne, ils sont assis l’un en face de l’autre, la bouche grande ouverte, pour mordre dans une crêpe attachée à un fil, ce qui correspond à une tradition remontant au Moyen Age consistant à manger une galette suspendue sans la toucher des mains. 
Sans oublier l’homme et la femme, nus dans l’eau, misérables Adam et Eve qui semblent quémander quelques reliefs de ce festin flottant sans même que l’on daigne leur accorder la moindre attention, et qui sont les deux seuls personnages dotés d’une certaine humanité et d’un peu de dignité.
 
A n’en pas douter, cette scène contient un message : ce coudrier, sous lequel ces personnages se trouvent, étaient un symbole de la bêtise, tandis que la chouette (ressemblant à une tête de mort) que l’on aperçoit dans l’arbre était symbole de l’hérésie, sans oublier l’oriflamme rose à l’emblème du diable et le croissant de lune des fidèles de Mahomet … 
Quant à la folie, elle est incarnée par le personnage assis sur une branche, en proue, qui en porte les attributs – la marotte et le bonnet orné de grelots – et boit dans une écuelle une potion dont on peut craindre les effets. 
 
En outre, pour ceux de nos lecteurs que la psychanalyse amuse encore, on signalera le gros homme parti à l’assaut du mât, orné d’un bouquet de fleurs, qui tente de sectionner le cordage d’un palet à l’aide d’un grand couteau : un symbole sexuel ? 
 
Le thème de la nef des fous était encore fort en vogue au début de la Renaissance – à laquelle appartient Bosch, que, souvent, l’on considère erronément comme un artiste « gothique » tardif alors qu’il est l’exact contemporain de Léonard de Vinci et maitrise parfaitement les règles de la perspective – et l’on en retrouve de nombreux témoignages, un siècle plus tôt, notamment dans le poème de Jacob Van Oestvoren intitulé « La barque bleue ».
Et aussi plus tard dans un poème de Sébastien Brant publié à Bâle en 1494 – illustré de gravures montrant des barques chargées de fous dérivant vers le paradis des déments -, où l’on peut lire que « mieux vaut rester laïque que de mal se conduire en étant dans les ordres », et qui inspirera, quatre ans plus tard, une « Nef des folles » à Josse Bade, qui était à la foi humaniste et imprimeur. 
C’est dans l’oeuvre de Brant que l’on peut trouver une clef du panneau de Bosch, ce peintre issu d’une famille d’artistes en activité à Bois-le-Duc, et plus précisément dans le récit d’une expédition vers Narragonia, l’île de la Folie, d’une bande de personnages douteux, en proie au vice et peu soucieux de leur salut, bien que certains soient supposés avoir consacré leur vie au service de Dieu. 
 
C’est donc en rapprochant le tableau de Bosch  (probable fragment d’une oeuvre plus vaste) de l’ouvrage de Brant que certains spécialistes ont proposé de voir dans ce panneau envahi de braillards et de gloutons une illustration, sous forme burlesque, des « folies » du goût et de l’ouïe. 
 
Et aussi, élément capital, des moeurs dissolues d’un clergé qui laisse partir à la dérive une barque symbolisant l’Eglise, tandis qu’un homme se cramponne à cette embarcation sans que nul ne s’en soucie, lequel incarne les critiques formulées par les tenants de la Réforme à l’égard de l’Eglise romaine : en 1517, à Wittenberg, Luther rendra publiques ses « Quatre-vingt quinze thèses » mettant en cause cette doctrine des indulgences qui symbolisait, en les portant à la caricature, les accusations de corruption et d’avidité lancées contre la papauté. 
 
Quant à Erasme, c’est dès 1511 qu’il avait publié son « Eloge de la folie », dans lequel il se livre notamment à une satire des superstitions et pratiques pieuses de l’Eglise romaine et de leur prochain châtiment. Interprétation légitimant l’élément central de la scène, cette galette suspendue considérée comme une hostie, dans laquelle les Réformés refusaient de voir la présence de Jésus-Christ, lequel conclut son discours sur le pain de vie par ces mots : « Les paroles que je vous ai dites sont Esprit et vie ». 
 
Tandis que les artistes italiens élaboraient les règles d’une révolution culturelle et esthétique née de la redécouvert de l’Antiquité, leurs confrères du Nord, et en particulier les Flamands, se montraient attachés à une tradition religieuse issue d‘un Moyen Age à présent en crise. 
 
C’est ainsi que, dans une veine populaire, Bosch témoigne de ce monde à la dérive. Un monde renversé comme cette barque sur le point de chavirer sous le poids de ces personnages ivres, aux instincts bestiaux, inconscient de leur sort collectif, ou simplement indifférents. 
 
Jérome Bosch, en artiste sensible aux angoisses et dérives de son temps, associe vice et folie pour dénoncer la dépravation du clergé et l’effondrement de la foi des hommes. 

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